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En 1989 j’ai 20 ans. J’habite le milieu rural du sud-ouest de la france. Dans le vase clos médiatique, c’est le bicentenaire de la révolution française qui prime, la figure imposée de cette année. Je traîne ma carcasse de jeune adulte désabusé. Persuadé que le monde ne réservera plus de surprise du côté de l’émancipation et de la justice sociale. La révolution m’apparait comme une matière première pour la société du spectacle. La chute du mur de Berlin digérée par les médias est comme une mise en scène de cette conviction. Un jour je vais au cinéma voir un film historique : La Soule, réalisé par Michel Sibra. C’est l’histoire d’une vengeance à l’époque des guerres napoléoniennes, au travers d’un jeu de balle réputé violent. La soule est le nom donné à la balle et au jeu en lui-même. Ce jeu populaire traditionnel était très répandu en France jusqu’à la révolution française de 1789, puis plus résiduellement jusqu’au XIXème siècle. J’ai joué au rugby de 10 à 18 ans dans un club d’une petite ville de 5000 habitans. J’étais curieux de découvrir ce vague ancêtre de mon sport de prédilection. Ce fut le début d’une longue aventure transformatrice expérimentant les relations entre tradition et nouveauté tel que définit par Hugues Bazin : « La tradition n'est pas simplement la mise au présent d'éléments du passé mais la mise en oeuvre d'un travail de transformation à travers des processus de transmission »(Hugues Bazin, Note de travail sur Ateliers-résidences en quartiers populaires, Musique de Nuit Diffusion, Bordeaux, 1999) La découverte de la soule grace à l’œuvre de fiction de Michel Sibra fait germer dans ma tête, et celles de la compagnie exponentielle qui en découla, l’idée d’une pratique contemporaine ludique de pleine nature, une forme culturelle d’utilité festive. C’est comme une formule magique pour reprendre possession de ses désirs d’enfance. La soule permet de fausser compagnie aux places que l’on fait mine d’occuper dans la société raisonnable. Cette néosoule s’avère être un tel catalyseur d’énergies et de créativité entre 1995 et 1997, qu’une association est créée (association La Soule) et donne naissance à la compagnie sociale informelle des soultimbanques (adhérents de l’association, joueuses et joueurs de soule). Cette compagnie, dont peuvent aujourd’hui se réclamer plus de 500 personnes, a sillonné activement les campagnes du sud de la France jusqu’en 2015 avec des incursions en terre auvergnate, champenoise, normande. Plongé dans ce vécu, il m’a fallu quelques années pour m’extraire de la mêlée et prendre une place de photographe. Je réalise des prises de vue argentiques entre 2000 et 2005. Ce n’est qu’en 2014 que je décide de raconter cette aventure au travers du projet d’exposition collective Le facteur soule d’où sont extraites les photographies de cette série intitulée je suis un.e soultimbanque. Qu'est ce que veut dire être soultimbanque ? Quel est donc ce jeu avec une balle de cuir en forme de grosse figue ? Pourquoi des hommes et des femmes font-ils le choix de se jeter dans la mêlée ainsi, de se jeter dans la boue, les taillis, courir à travers bois et prés ? Il semblerait que l'image de jeu de brutes qui colle à la soule soit sérieusement mise à mal par les soultimbanques depuis 1995. être soultimbanque c'est un engagement gratuit de soi afin de laisser de la place à l'imprévisible.

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